dimanche, avril 16, 2006

Vezelay

Autun & Vézelay - à la recherche d'un monde disparu.



Après notre visite à Paray le Monial et Cluny, mon intérêt réveillé à "donf" (conformément, toujours, au langage des "djeuns"), j'ai cherché désespérément tout sort de bouquins et de sites pour m'informer un peu mieux sur l'architecture en général et l'art "roman" en particulier.

Dés le début j'ai vite retrouvé ce que, à peu près, je savais déjà, c'est à dire que dans l'architecture des églises romanes tout est métaphore, en commençant avec l'église elle- même, en forme de croix, avec son cœur à l'endroit du cœur de Christ.


A l'intérieur de l'église, l'élancement des murs et des piliers vers la voûte1 illuminée par la lumière "venant du ciel", dispensée par des fenêtres hautes et magnifiée, vers le cœur, par la multitude des fenêtres du transept, contribuent à créer une vision métaphorique de l'appel de Dieu et du paradis céleste (comme ici, à Vézelay).

Hors les chapiteaux, aucun élément décoratif ne rompt cet essor des formes vers les cieux. Et les chapiteaux elles même, se doivent d'avoir une fonction évangélique en plus de leur aspect décoratif. Ainsi, à coté des chapiteaux de style composite, où les volutes ioniques s'ajoutent aux feuilles d'acanthe ou autres végétaux, les églises commencent à se remplire des chapiteaux2 "historiés", avec des scènes représentant d'une manière symbolique les textes de l'Ancien ou le Nouveau Testament.

Et les traces les plus grandioses de cette entreprise didactique, chef d'œuvres narratives et décoratives, se trouvent,dit on dans tous ces livres d'histoire de l'art que j'ai lu , dans la cathédrale St.Lazare d'Autun et la basilique Sainte-Madeleine de Vézelay ...

C'est ainsi que j'ai compris que si je veux me faire une idée sur "la blanche robe d'églises", cette floraison d'édifices religieux qu'en partant de Cluny ont couvert la France de l'an mille, embellissant la Bourgogne,l'Auvergne, la Normandie ou la Provence, ainsi que les itinéraires de pèlerinage,

ces deux églises sont incontournables. Et de Vézelay à l'abbaye de Fontenay il n'y a qu'un pas, au propre comme au figuré. Car non seulement la distance physique n'est pas grande, mais c'est sur les remparts de la basilique Sainte-Madeleine de Vézelay que Saint Bernard, "dans un discours enflammé", a prêché pour la deuxième croisade. Et c'est Saint Bernard, c'est à dire Bernard de Clairvaux, qui a fondé l'abbaye de Fontenay,"sur un programme de rigueur et de passion", en rupture avec le luxe et la richesse de *proposant un nouveau langage architectural, d'une grande austérité et d'une admirable simplicité... Et son influence a été, il paraît, aussi féconde que celle du Cluny...


Vous n'auriez pas été curieux de voir de vos propres yeux tout çà? en tous cas, en ce qui me concerne, le trajet d'une nouvelle excursion était fait!... Dès que Michel a eu de nouveau envie de partir, sans avoir en tête aucune direction particulière,

(comme l'autre fois, au début du décembre, par exemple, quand entre la mer et l'océan nous avons choisi la direction de Sète, à la Méditerranée, car le temps s'annonçait pluvieux vers l'ouest, où nous avons eu l'occasion de voir une autre rescapée "de justesse": la cathédrale de Maguelone.Elle aussi une belle romane, dans la construction de laquelle est impliqué un abbé Artaud,mais je ne sais pas où je peux vérifier si c'est le même Artaud que celui de l'abbaye de Vézelay. Je vous mette une petite photo de sa nef ici, juste pour le plaisir...)

j'ai proposé modestement ce "pèlerinage éducatif"...

Nous voilà donc de nouveau sur la route qui passe par La Palisse et Donjon et, deux heures plus tard, vers midi, nous apercevrons déjà la flèche de la cathédrale d'Autun,dépassant fièrement les collines du Morvan. Une flèche gotique, entièrement creuse, sans charpente, qui s’élève à 80m au dessus du sol, pour annoncer une fameuse église... romane

En fait, l'église en soi n'est plus tout à fait "romane". Elle réunit, au gré des modes et de bon vouloir des uns et des autres, toutes les époques du passé de la ville: les arcades du triforium dérivent de la porte d'Arroux, construite par les romains vers l'an 69, la nef est de style roman du XIIe siècle, la flèche et les parties hautes du chevet sont de style gothique flamboyant du XVe, les chapelles latérales de la nef et la tribune d'orgue, du XVIe... La salle capitulaire, qui abrite les chapiteaux romans, est d'un style gothique tardif...

Et encore, heureusement que l'argent a manqué, car autrement toute la partie romaine aurait pu disparaître. Pareil pour la ville elle- même, au XIX siècle: par manque d'argent les édiles se sont contentés de faire des aménagements "haussmaniennes" seulement sur la place principale, en construisant l'hôtel de ville et le théâtre et laissant en place l'ancien collège jésuite. Comme çà les "autunites" peuvent se venter aujourd'hui avec ses élèves devenus plus que célèbres, comme Napoléon Bonaparte et son frère Joseph, ou encore le physicien Jean Carnot.

J'exagère? Pas du tout, je vous assure. Déjà qu'à une époque, partout en France, le style roman étant considéré comme "laide"3, on détruisait partiellement les églises pour leurs ajouter des éléments gothiques. A Autun, au XVIIIe siècle, les chanoines qui géraient la cathédrale, n'aimant pas les sculptures qui ornent le tympan réalisé vers 1140, le recouvrirent de briques et de plâtre, sans hésiter à abattre la tête trop saillante du Christ. Tant mieux, on peut dire maintenant, parce que la sottise humaine aurait pu faire pire: comme ça, les révolutionnaires, ignorant son existence, l'épargnèrent. C'était l'époque ou on cassait les églises, romanes ou autres, par "convictions républicaines". A Autun ils ont même essayé de faire démolir les clochers des églises "qui offusquaient les yeux des républicains et contrastaient avec les principes de la sainte philosophie". On faillit même de vendre le monument pour utiliser la pierre4 . Comme pour Cluny, pour la grande abbaye cistercienne deGrandselve et tant d'autres monuments irremplaçables... Comme je l'ai déjà dit, l'intégrisme religieux ou révolutionnaire, c'est la même chose!

Enfin, une fois cette vague de folie passée, on a recommencé à réparer ce qui pouvait encore l'être. Prosper Mérimée fut nommé inspecteur des Monuments historiques et en cette qualité parcourut la France, assisté de Viollet-le-Duc, pour dresser l'inventaire des richesses du pays affin de sauver les plus précieuses. Ainsi, à Autun, pendant les réparations entamées en 1837, le tympan de la cathédrale fut redécouvert et dégagé et, pour le protéger, on a construit le porche avec ses deux tours romans sur le modèle de Paray le Monial, qui était le modèle initial de la cathédrale... La tête du Christ, retrouvé par l'abbé Griot, a été remise en place en 1948! 5

Et dire qu'aujourd'hui si on visite Autun c'est surtout pour sa Cathédrale, fameuse non pas par ses dentelleries gothiques , même pas par le beau tableau représentant le Martyre de saint Symphorien, peint par Ingres en 1834, mais par ses parties romanes sauvées in extremis. Et en particulier pour son remarquable ensemble sculpté, oeuvre de l'atelier de Gislebertus, qui, fait peu fréquent, a mis son nom sous les pieds du Christ du Jugement dernier, au tympan.


Le Tympan:
1. Christ Pantocrator
2. la lune et le soleil=le cosmos
3. troisième voussure: les signes du zodiaque et les travaux des mois
4. la balance du jugement dernier
5. les arcades de l'entrée du paradis
6. résurrection des morts

Bien sur que j'ai filmé tous les détailles du tympan, les chapiteaux des colonnes situées de chaque coté du portail et même les statues de Saint Lazare et ses deux sœurs, Marthe et Marie du trumeau(la colonne au milieu du tympan), mais je n'ai pas filmé, par contre, la misère produite sur le parvis de la cathédrale par les (trop?) nombreux pigeons... De toute façon, j'étais pressée d'aller voir l'intérieur, car Michel y était déjà et il avait l'air vachement ennuyé par mes exploits cinématographiques... Bon, finalement, après quelques frayeurs (je ne voyais pas Michel dans cette grande église, par contre, je voyais un type qui je ne sais pas trop qu'est ce qu'il faisait là, il a fait juste un tour et puis il est parti. Comme j'ai souvent peur dans les églises catholiques, trop vastes, en général trop sombres et grises pour moi,habituée comme je suis aux petites et intimes églises orthodoxes roumaines, en plus comme la nef était pleine de tout sorte d'échafaudage, l'église étant en rénovation, je ne vous dis pas quel soulagement j'ai eu ne voyant Michel: il revenait de la salle capitulaire...

Sans tarder, j'ai pris mon courage à deux mains pour y aller moi- même, et si vous regardez l'escalier que j'ai du monter, que j'ai filmé en marchant, "à mes risques et périls", vous comprendrez peut être que j'en avais bien besoin.

Mais, une fois arrivée en haut, je ne voulais plus partir: je vous assure que j'ai tout filmé, mais je ne vais pas mettre d'autres photos ici. Il y a déjà assez de sites sur le net qui le font, comme http://architecture.relig.free.fr/autun6.htmpour la salle capitulaire et http://architecture.relig.free.fr/autun5.htmpour la nef et le chœur, ou encore http://architecture.relig.free.fr/autun.htm pour tout, que je vous conseille vivement! Heureusement!

Et surtout, heureusement qu'il y a aussi des très bon sites pour Vézelay ... Car ici non seulement nous sommes arrivé trop tard pour tout photographier ou filmer, mais en plus nos piles étaient terminées. Vides. Mais comme ça vous pouvez regardez de très belles photos, et pas seulement, à l'adresse http://homepage.uvt.nl/~s239062/EDIFICES/vezelay.htm, ou http://www.art-roman.net/vezelay/vezelay.htm, ou encore http://architecture.relig.free.fr/Vezelay.htm.

Et nous sommes décidés de revenir-nous aussi sur les lieux. Car nous sommes loin d'avoir tout vu : il faisait presque nuit, et la basilique n'avait pas de lumière à l'intérieur, ou nous ne l'avons pas trouvé... En plus nous avons peur que quelqu'un peu venir et fermer les portes avec nous dedans, alors nous soyons vite sortis... Malgré cela, notre première impression a été formidable. Michel a pu faire quand même quelques photos, avant que ses piles s'épuisent totalement. En voilà six, juste pour avoir un aperçu du site et de la grandeur de ce qui reste de l'ancienne abbaye, sauvée elle aussi, in extremis, par le même Viollet-le-Duc:

vue de l'esplanade vers les collines du Morvan
la façade occidentale
le chevet gothique et la tour Saint-Antoine
vue d'ensemble de l'église, du coté sud, avec les deux tours.
perspective de rue vers la tour Saint-Michel
façade latérale sud , la tour Saint-Antoine et le bâtiment des moines

C'est pas beau ça? Et, encore une fois, il faut aussi regarder les photos publiées ailleurs sur le net. Pour Vézelay surtout, à http://www.art-roman.net/vezelay/vezelay.htm il y en a!... En espérant que je vous ai déjà convainque, je vais m'arrêter. Mais avant de passer à "l'expérience Fontenay", encore quelques remarques:

  1. dans la décoration des églises romanes les sculptures, généralement peintes, les fresques et plus tard, les vitraux, ont une fonction didactique: diffuser des enseignements religieux auprès d'une population en grande partie analphabète. Le programme didactique était déterminés par les abbés et réalisé par des artisans en se conformant à un langage figuré,immédiatement compréhensible à l'époque. Ce langage, devenu traditionnel , a ses origines dans le christianisme primitif.

    Ainsi,d'habitude, dans la scène du jugement dernier, le Christ "en gloire" apparaît dans une mandorle, entouré par les symboles des quatre évangélistes: Mathieu l'homme, Luc le taureau, Marc le Lion et Jean l'aigle.


  2. Autre exemple, à Autun, ce chapiteau du nef représentant la tentation du Christ: "le démon l'emmène sur une très haute montagne et lui fait voir tous les royaumes du monde avec leur gloire" (Mathieu) ... On peut voir le refus du Christ, avec son auréole, calme et posé, avec "l'Esprit", ailé et auréolé derrière, surveillant attentivement la scène et le diable, furieux, monté sur un sort de temple, sensé de représenter les royaumes (attention, ce n'est que mon interprétation). A noter que, à part la tête du diable, les proportions entre les différentes parties des corps des personnages sont bien respectés.
    Une autre tentation, sur un chapiteau du chœur de la cathédrale d'Autun, pourrait représenter la première tentation du Christ: "Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains"(Mathieu).

    Pour ce chapiteau , le site http://architecture.relig.free.fr/autun5.htm nous suppose une représentation du péché originel: c'est bien possible, vu plusieurs indices, comme, par exemple, le fait qu' aucun des deux personnages soumissent à la tentation n'ont pas d'auréole.

    En tous les cas, ici on peut bien voir la façon harmonieuse dont s'entremêlent dans ces sculptures le monde animal et végétal, ce qui laisse deviner un souci décoratif non avoué...

  3. pour l'ornementation, à l'héritage de l'époque gallo-romaine se mêlent des influences celtes et germaniques, mais en même temps se développe aussi une "symbolique chrétienne "particulière, un langage figuratif mystique. Ainsi, la reproduction de la réalité ne constitue plus une priorité, au contraire Dieu, Jésus Christ et les saints ne doivent pas être semblable aux humains. Si l'art classique mettait en relief l'humanité des dieux, l'art chrétien abandonne le naturalisme pour un langage mystique qui doit suggérer à la fois l'absence de corporéité, de matérialité physique et la majesté hiératique des personnages.

  4. Je ne sais pas vous, mais moi j'avais l'habitude de considérer le style roman dans l'architecture et surtout dans la sculpture comme un style "primitif" et dans un sens "maladroit", manquant de technique... Même si c'est peut être partiellement vrai, car on dit que les techniques romaines étaient un peu oubliées par les premières constructeurs des cathédrales, maintenant je ne crois plus du tout ça...

  5. Et je ne parle pas seulement de la qualité artistique, comme par exemple celle de cette Ève d'Autun, d'après moi digne d'un Brancusi ou autre sculpteur modern... Mais aussi d'autres aspects, plutôt "scientifique", comme par exemple la manière dont la lumière est souvent utilisée, comme une matière à part entière... Par exemple, à Vézelay, pour donner l'expression du Christ en majesté du tympan, le sculpteur avait utilisé l'ombre portée par la voûte... Ou, un autre exemple qui me vient à l'esprit, dans une autre église, en Auvergne, à Orcival, les ouvertures dans les murs sont calculées avec une telle précision que la lumière du soleil illumine le visage de la Vierge en majesté du chœur à une heure précise pour la Sainte Marie, grand journée de pèlerinage de mois d'août...


1.caractéristiques pour l'architecture romane sontla voûteen berceau, (en général la voûte appareillée,en maçonnerie, remplace l'ancienne voûte en bois), l' arc en plein cintre ou légèrement brisé et les absides en cul de four.

2.La colonne est un élément de support de forme cylindrique (ce qui la distingue du pilier
de forme carrée). Elle comprend trois parties :


  • La base: qui forme le pied
  • Le fût: ou "l'arbre" qui forme la portion médiane. Il peut être lisse, cannelé, etc.
  • Le chapiteau: qui couronne le fût. Il débute par une petite moulure arrondie, l'astragale.
    Sa partie principale forme la corbeille
    dont la décoration sculptée permet au fidèle de "lire" une histoire sacrée, ce pourquoi on parle de chapiteau "historié".
    Il se termine par le tailloir,
    élément plat qui établit le contact avec la partie supérieure


3. Même au XIXe siècle, quand le style roman était réhabilité, des écrivains comme Stendhal ou Michelet estiment qu'il faut bien du courage pour étudier cet art, notamment lorsqu'on le compare à l'art antique. (voir http://architecture.relig.free.fr/autun.htm)

4. " La Sentinelle d'Autun,1793", apud. "Autun, Histoire et guide de la ville", Denis Grivot, ed. Lescuyer, Lyon,1967. Il faudrait peut être montrer les journaux d'époque aux islamistes de nos jours, mécontents pour quelques caricatures...

5. Splendeurs et Merveilles des Monuments en France, Gérard Denizeau, ed.Larousse, 2005


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